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26
mai
2023

« Red Room Live Session » : Chronique de l’imprévu…

Il arrive bien souvent, voire même tout le temps, que les événements dictent nos choix, nos décisions. On établit des plans quinquennaux, des stratégies, des plans de batailles qui peuvent s’avérer rapidement obsolètes, aussi vite qu’ils ont été conçus. Ici vous lirez la construction de cet EP, car tout a un sens et une raison.

Depuis que nous avons démarré l’aventure du Bouexi Band sous cette nouvelle mouture (monture…), nous avons évoqué l’idée d’explorer d’autres terrains de jeux que les concerts. Composer, produire des chansons, les enregistrer est quelque chose que nous savons faire et même si on est loin d’en avoir fait le tour, nous connaissons relativement bien ce processus. Par contre, la vidéo est une discipline que nous avons jusqu’à maintenant toujours déléguée. Aussi lorsque Thomas Ottogalli (guitariste) nous a soumis l’idée de produire nous mêmes nos vidéos, nous avons adhérer rapidement à ce nouveau challenge. Réaliser des vidéos, en comprendre la mécanique et les rouages, répond complètement à ce type d’activité où nous pouvons exprimer une autre forme de créativité mais aussi apprendre une nouvelle discipline. Le but étant si possible de nous étonner.

Grâce à un partenariat avec la ville de Châteaubourg et Vitré communauté, nous avons pu investir le centre des arts par l’intermédiaire de son directeur, Mantho Baka. Nous avions déjà collaboré ensemble par le passé et nous cherchions un lieu qui soit atypique mais aussi ayant une bonne qualité acoustique. Nous n’aimons pas beaucoup les pièces acoustiquement mortes des studios où la seule vibration que l’on perçoit est celle de nos instruments. L’auditorium du centre des arts est un lieu disposant d’un espace suffisamment grand avec une belle hauteur sous plafond et il est tout rouge, du sol au plafond ! Pas banal un tel lieu et ça ne plait pas forcément à tout le monde mais à nous, beaucoup.

On a donc présenté notre projet à Mantho : tourner une série de vidéo destinée à promouvoir les nouvelles chansons du groupe et les jouer totalement en live. Il s’avère que l’idée lui a plu et nous avons convenu de tenter le coup pour une session.

Nous avons donc investit les lieux en septembre 2022 pour un weekend de trois jours. Une première journée destinée au montage et l’habillage de l’espace scénique, la balance de la captation sonore, les tests de lumière pour la vidéo. Les deux autres jours étant destinées au tournage à proprement parlé des deux chansons. Une chanson par jour filmée et enregistrée !

On a débuté avec « Oh maman… » et on a tâtonné un bon moment avant de trouver nos marques. Jouer live sans public, c’est un exercice beaucoup plus compliqué que de jouer live face à un public qui vous nourrit et vous renvoie son énergie. Ici l’énergie part vers des sièges vides et c’est assez désagréable comme sensation. Sans public, on a tendance à se recroqueviller sur nous-même comme un escargot dans sa coquille ce qui sommes toute, vu le contexte, parait être un réflexe tout à fait normal. Il s’agissait donc de forcer le trait, de jouer pour un objectif, celui d’Antoine Ottogalli, fils de Thomas, qui s’en est très bien accommodé et a pris d’excellents plans.

La 2ème journée, on a attaqué avec l’un des morceaux que l’on aiment beaucoup jouer :  » Au bal à l’anse Chaoui ». Plus à l’aise, on avait appris de la veille et notre son était devenu plus compact, plus direct. La prise son nous a franchement étonné, le rendu a fait bouger nos pieds et c’est plutôt bon signe quand on les bouge nos pieds… Fin de cette première session.

De retour à la maison, on a laissé reposer le tout et nous nous sommes attaqués Tristan (violoniste), Philippe (bassiste) et moi au montage. Quelle affaire ! J’avais entendu que le montage était ce qui pouvait défaire ou faire un film, en l’occurrence ici une vidéo, et bien c’est pire que vrai ! Vous sélectionnez un plan, l’incorporez et votre vidéo prend une toute autre allure. La vidéo peut prendre des allures comiques ou dramatiques en un coup de clic ! On a d’ailleurs eu beaucoup plus de facilités à monter « Au bal à l’anse Chaoui » qu’ « Oh maman… » qui fut laborieux.

On a montré le tout à Mantho, qui a validé, et nous avons pris un nouveau rendez vous pour produire une 2ème session.

C’est en février 2023 que nous avons à nouveau investit les lieux. Le montage de la salle fut beaucoup plus rapide car nous n’avions qu’à reproduire ce qu’il y avait sur les images… Deux autres chansons ont été sélectionnées et parmi l’une d’elles, un blues. Pas facile à jouer ce blues dans ces conditions car c’est l’instant qui prime. Le solo de guitare ne peut être reproduit à l’identique si on veut capter ce feeling particulier du blues. Nous avons finalement réalisé une excellente prise et je crois que c’est à ce moment précis que la graine a commencé à pousser dans nos têtes. Le son était très vivant, emprunt d’une spontanéité, d’une joie de faire cette musique ensemble, que l’on peut caractérisée de communicative.

La vidéo a été captée par Laurent Vinson, qui s’occupe exclusivement de nos photos, et qui n’avait jamais filmé auparavant. L’avantage est que nous avons une culture commune, je le connais depuis 50 ans… On aime particulièrement les images et la façon de filmer d’Anton Corbijn, qui est avant tout un photographe, qui a une approche très artistique et brute de l’image (Tom Waits, U2, Depeche Mode, Iggy Pop, John Hiatt…). Son film « Control » qui relate l’histoire de Ian Curtis et Joy Division est d’une esthétique subtile et puissante à la fois. Le concert de Depeche Mode issue de la tournée « Exciter » (2001) qu’il a filmé à Paris est un modèle du genre. Laurent voit beaucoup de concerts pendant lesquels il prend des photos. Il a déjà eu l’occasion de tester des cadrages plus « artistiques » et s’est lâché sur le tournage de cette vidéo. Cela a occasionné des plans qui reflétaient totalement le moment et la musique joués.

Le montage a été beaucoup plus facile à réaliser, et avec le « Blues du solitaire » nous avons été confrontés à une situation inédite : nous avions trop de bons plans ! Ce qui est en définitive assez stressant.

La vidéo est sortie et nous avons eu d’excellents retours, il se passait quelque chose sur cet enregistrement, le son était vraiment bon : vivant, costaud, vibrant. J’ai proposé de sortir en streaming la chanson et là aussi, les retours ont été très bons. On avait en définitive trois chansons qui sonnaient vraiment bien, comme un disque. Très vite on s’est mis d’accord pour retourner faire une 3ème session.

Entre temps il y a eu le coup d’arrêt avec l’annonce du départ de Jean Baptiste Huet, notre batteur. Devenu un pilier du groupe avec six années passées avec nous, on le savait investit dans d’autres projets et il était devenu difficile pour lui de mener tout de front. Tout à une fin, rien ne dure jamais, et ce temps avec nous s’est terminé. Avec Thomas, nous avons pris le taureau par les cornes et nous sommes partis à la recherche de son remplaçant. On a finalement trouvé en 48 heures chrono, Christophe Baillet, un ami de Thomas qui s’est avéré très intéressé d’intégrer notre groupe. La session pouvait avoir lieu.

Notre album est enregistré depuis maintenant un an et il y a des finitions encore en cours. Le départ de Jean Baptiste a forcément rebattu les cartes et en définitive, dans un groupe où chaque musicien est identifié, l’album s’est encore un peu plus éloigné émotionnellement de nous. Je n’ai aucune patience, je l’accorde, et je me déconnecte comme je m’enthousiasme assez rapidement. Les chansons ont évolué depuis que nous les avions enregistrées et j’aimais beaucoup les prises réalisées pour les vidéos que je trouvais beaucoup plus proches de qui nous étions maintenant. J’ai donc soumis l’idée à Thomas de sortir un EP composé de six titres. L’idée du EP, pour être tout à fait honnête, c’est lui qui m’en a parlé depuis un petit moment mais il l’avait évoqué pour succéder à l’album. Personnellement, je suis très attaché au format LP mais j’entendais déjà cet EP dans ma tête. C’était aussi la possibilité de nous connecter à nouveau émotionnellement à ces chansons, de célébrer le départ de Jean Baptiste et la venue de Christophe.

Le choix a donc été de ne filmer qu’une seule vidéo et de consacrer l’autre partie du temps à enregistrer les morceaux. La chanson choisie pour le tournage est un air considéré comme traditionnel mais qui a initialement été composé par Iry LeJeune, un mélédéoniste formidable dotée d’une voix qui sait transmettre l’émotion au plus près de l’os. On souhaitait pouvoir reprendre une chanson purement cajun et cette « Valse à Duralde » nous a semblé le morceau parfait. Parfait, car l’interprétation de notre chanteur, Buddy Arville Bouexi, y est absolument phénoménale. Ce n’est franchement pas facile de chanter ce genre de chansons. Déjà il y a le texte avec ses méandres liés à cette langue cajun dont il faut parfois décoder, mot à mot, le sens. Puis il y a les notes, très hautes, qu’il faut attraper et scander. Une belle performance qu’il sait répéter à l’identique à chaque fois.

On avait depuis longtemps trouver un arrangement musical initié par Tristan Auvray, notre talentueux violoniste, pour cette chanson avec un thème qui la ramènerait sur les bords de nos rivages bretons et aussi un refrain où il était judicieux d’harmoniser quatre voix. Pour toutes ces raisons, on a choisi cette chanson pour ce nouveau tournage. Nous avons à nouveau réarrangé la chanson le jour même en intégrant le thème de fin au tout début et l’apport de Christophe Baillet à la batterie a été déterminant.

C’est à nouveau Laurent Vinson qui tient la caméra et la dimension cinématographique de la chanson nous a poussé à réaliser de nouveaux plans qui, de notre point du vue, fonctionnent très bien. C’est très satisfaisant de pouvoir arriver à entendre ce que l’on imaginait au début lorsque l’on s’est penché sur cette chanson et je savais qu’elle devait clôturer l’EP. C’est vraiment quelque chose qui m’obsède de trouver la chanson du début et le morceaux qui clôturera un LP ou un EP. Une fois qu’on l’a trouver, le chemin qui reste à parcourir pour harmoniser l’ensemble et produire quelque chose d’homogène est plus aisé. Je ne compte plus le nombre d’album qui ont su m’accrocher car le premier morceau était parfaitement choisi comme ceux où la dernière chanson vous donne envie d’appuyer à nouveau sur « lecture » et tout recommencer. On a donc pu enregistrer les autres morceaux le lendemain et trouver le meilleur assemblage parmi la bonne douzaine à notre disposition. La dernière chanson a été bouclée le 17 avril et l’EP est sorti le 21 avril grâce au travail intense fourni par Thomas Ottogalli pour produire des mix efficaces et cohérents. Ce fut vertigineux de pouvoir enregistrer et sortir dans la quasi immédiateté le rendu final. Il y a un élan émotionnel qui vous connecte totalement avec ces chansons et vous vivez l’instant de façon intense. On entend cette spontanéité tout au long des 23 minutes que constitue notre EP « Red Room Live Session » et on espère que vous l’entendrez aussi.

Bob Aldus Bouexi, mai 2023.

Photos : Laurent Vinson – LV Lab Photos.